YOONNS.FR - 10BOM

Après avoir écrit une histoire absurde sur un type amnésique, en voici une sur deux pécheurs perdus en mer. Ils ont l'air de chasser quelque chose en particulier. Peut-être un plagiat de Moby Dick ? N'hésite pas à m'en parler sur ma page Facebook, Twitter ou sur YouTube.

Yoonns.


Chapitre 1

Les vagues heurtaient la barque depuis quelques minutes, manquant de la faire chavirer à chaque instant. L'eau salée envahissait peu-à-peu l'intérieur et Tom peinait à la renvoyer d'où elle venait. La tempête ne semblait pas vouloir s'arrêter, même en lui demandant gentiment. Ben continuait d'observer l'horizon avec ses jumelles, mais l'eau sur les lentilles, combiné à l'eau sur ses lunettes, multiplié par l'eau dans ses yeux, divisé par l'océan déchaîné, égale peu de choses à voir.

« Aide-moi, lâche les jumelles ! » hurla Tom, toujours en vidant la barque de l'eau.

Ben hocha la tête avant de jeter à la mer les deux jumelles suédoises qu'ils avaient pris en stop. Quelle idée de faire du stop en plein milieu de l'océan Atlantique. Sans faire attention aux cris et aux suppliques des deux femmes blondes se noyant, Tom posa le seau qu'il utilisait pour écumer l'eau. En étant plus que deux sur l'embarcation, ils avaient beaucoup moins de chances de chavirer.

« Tu le vois ? » demanda-t-il à Ben, qui observait toujours à travers les jumelles.

L'homme fit non de la tête, il tentait de faire abstraction du déchaînement des flots, du bruit de l'éclair et des flashs du tonnerre... Ou l'inverse.

« Vérifie l’appât. » répondit-il, toujours sans quitter ses jumelles.

Tom se déplaça à l'arrière de la barque, il attrapa la corde qui y était accrochée et tira dessus. Il avait à peine commencé à remonter l'appât qu'il s'arrêta net, on aurait pu lire la détresse dans ses yeux si on avait eu que ça à faire pendant une tempête.

« Il est plus là ! » cria-t-il à Ben, en continuant de remonter la corde pour en avoir la preuve. L'observateur baissa enfin ses jumelles brusquement, l'air affolé. Il se jeta à l'arrière du navire avec son ami pour vérifier ensemble.

Il ne restait plus rien au bout de la corde. Même le nœud avait été emporté avec l'appât, la corde était déchiquetée.

C'est la tempête qui a fait ça ? Demanda Tom.

Certainement pas, ce sont des traces de dents. Déclara Ben en montrant le bout de la corde. Ça veut dire qu'il est tout proche. Comment il a pu emporter l'appât sans qu'on le remarque ? On était trop occupés par la tempête. Prends le harpon, je vais essayer de le repérer. Ben se remit à ses jumelles et scruta l'océan, Tom attrapa un lance-harpon qui servait à lancer des harpons, et observa les flots avec seulement ses yeux. Ils restèrent plusieurs instants sans faire de bruit, concentrés pour voir le moindre détail dans les eaux agitées. Ben fut le premier à réagir.

« Là ! » s'écria-t-il en pointant du doigt l'horizon.

Tom suivi la direction en plissant ses yeux, légèrement paniqué. Un petit point blanc s'approchait d'eux.

« C'est pas lui, c'est juste un point blanc ! » dit-il, soulagé.

Mais le point blanc s'approchait, et les deux pécheurs purent constater qu'il ne s'agissait pas d'un des nombreux points blancs sauvages qui peuplaient l'océan atlantique, mais plutôt d'un aileron blanc.

« Vise-le ! Dès que tu l'entends, tu tires ! » ordonna Ben, toujours un peu couvert par le bruit de la tempête.

Tom suivit l'aileron s'approchant de la barque, il s'était préparé pour ce moment et n'aurait qu'une seule chance. Le lance-harpon pointé sur sa cible, il attendait le moment M. Il n'entendait plus le tonnerre et les vagues, ses oreilles avaient filtré tout les bruits inutiles, y comprit Ben qui chantait un vieux tube du top 50 pour se détendre. Soudain il l'entendit. Ce sifflement, comme une théière, de plus en plus aiguë à mesure qu'il s'approchait. Tom tentait de garder son calme, il s'arrêta de respirer et attendit quelques instants pour être sûr de ne pas rater son coup. « Maintenant ! » Hurla Ben.

Le coup partit.

Chapitre 2

Le sifflement était toujours présent. Tom pensait d'abord avoir échoué, mais il remarqua que le sifflement ne s'approchait plus. Il prit les jumelles des mains de Ben et regarda l'aileron. L'animal avait l'air de se débattre, le harpon était planté un peu devant son aileron, mais plongé dans l'eau on ne pouvait rien voir.

« Tu l'as eu ! » s'écria Ben joyeusement.

Les deux amis se serrèrent dans les bras, jusqu'à ce qu'une vague ne les ramène à la réalité. Ils attrapèrent tous les deux la corde attachée au harpon pour tenter de ramener la bête jusqu'à eux. Ils tirèrent de toutes leurs forces, mais elle ne se laissait pas faire, l'animal se débattait pour sa vie et faisait tanguer la barque, il continuait d'émettre ce sifflement aiguë.

« À huit on tire d'un coup sec ! » cria Tom.

« Disons à trois ! » répondit Ben.

Après le décompte, ils tirèrent sur la corde violemment, ce qui sembla affaiblir la créature, elle se rapprocha d'eux légèrement. À deux doigt de leur victoire, les pécheurs étaient aux anges, ils se voyaient déjà accueillis en héros. Mais à ce moment, le sifflement se fit plus intense, plus aiguë, et de plus en plus fort.

« Qu'est-ce que c'est que ça ? » éructa Ben, dont les paroles furent bientôt totalement masquées par cet affreux bruit strident.

Toujours croissant, le bruit fit perdre l'équilibre à Tom, puis à Ben, la corde leur fila entre les mains, râpant douloureusement leur peau avant qu'ils n'arrivent à en reprendre le contrôle.

« Ne lâche pas ! » dit Tom, malheureusement inaudible.

Le sifflement augmenta encore de volume, vrillant les tympans des deux compagnons. D'un réflexe, ils lâchèrent la corde qui passa par-dessus bord pour se boucher les oreilles avec leurs mains. Le bruit s'éloigna jusqu'à s'effacer dans le bruit des vagues.

Ben retira prudemment ses mains de sur ses oreilles en se relevant. Il était presque déçu de ne plus du tout entendre ce sifflement. Tom imita sa démarche puis scruta les alentours à la recherche de l'aileron. Il allait attraper les jumelles au sol, mais Ben le repoussa.

- Pourquoi t'as lâché ? Dit-il, plutôt agressif.

- T'as lâché en premier ! Et puis t'as entendu la même chose que moi, non ? Répondit Tom en le poussant à son tour.

- Comment on va le retrouver, maintenant ? On est en plein milieu de l'océan et on n'a plus d’appât.

- Tu dis ça comme si c'était de ma faute !

- Eh bien peut-être que si tu...

Ben arrêta sa phrase, interpellé par un léger bruit. Il détourna le regard et tendit l'oreille, Tom ne comprenait pas et allait dire quelque chose.

« Chut, écoute. »

Tom écouta à son tour en fronçant les sourcils. Rien d'étrange à première vue. Soudain ses yeux s'écarquillèrent. Tout deux se regardèrent sans savoir comment réagir.

Le sifflement était revenu.

L'aileron refit son apparition au loin, progressant dans leur direction à une vitesse impressionnante. Plus d'appât, cette fois il venait pour eux. N'ayant plus d'arme, Tom tenta de jeter des pommes et des sachets de thé sur la bête, ce qui étrangement ne l'arrêta pas. L'aileron plongea dans l'eau quelques mètres devant la barque, disparaissant en même temps que son sifflement. Tom et Ben s’avancèrent tout deux sur leur embarcation pour essayer de distinguer quelque chose dans les abysses. Après quelques secondes de silence, le bruit revint brusquement. Ils n'eurent pas le temps de dire quoi que ce soit, la barque était déjà tranchée en deux par un aileron blanc géant.

Chapitre 3

Le capitaine resservit un verre de vin à Cynthia en terminant son histoire, comme quoi il aurait traversé la Manche en chevauchant une mouette. Cynthia était saoule et sous le charme, elle ne pensait même pas contredire cette histoire. Elle riait aux éclats en entamant son cinquième verre, noyées dans les yeux verts du capitaine Marbrandt.

« J'ai encore une bonne trentaine d'histoires sur les mouettes ! » se vanta Gaël Marbrandt, qui avait une vaste imagination lorsqu'il parlait de mouettes. Il vida son second verre de vin et fit signe au serveur de lui apporter une autre bouteille de Château Brilland 1958 (c'était un signe très compliqué à réaliser). Soudain, un cri se fit entendre venant du pont.

« Capitaine ! Un homme à la mer ! »

Marbrandt se leva d'un coup, projetant sa chaise en arrière, ce qui assomma un invité qui passait. Il enfila sa veste et couru sur le pont après avoir embrassé la main de Cynthia.

La tempête faisait toujours rage dehors, le capitaine grimaça légèrement, il aurait aimé évité de mouiller sa veste, achetée un peu plus tôt dans la semaine. Il suivit l'un de ses hommes qui pointait l'océan du doigt. Au loin, on voyait un homme flotter sur quelques planches de bois.

Marbrandt retira l'eau de son visage d'un mouvement de main avant d'ordonner :

« Cap au Nord ! »

- L'homme se trouve au Sud, capitaine ! Déclara Thierry, le bras droit du capitaine.

- Je sais, orientons-nous vers le Nord, puis allons le chercher en marche arrière.

- Capitaine, si vous vous êtes trompé de trajectoire vous pouvez juste le dire.

- Ne discutez pas les ordres ! Cap au Nord, puis marche arrière !





Par une prodigieuse maîtrise de la navigation, ils purent faire marche arrière jusqu'à l'homme en détresse. Thierry lança une échelle de corde, mais l'homme ne semblait pas conscient. Il avait l'air d'être en mer depuis longtemps. Le capitaine esquissa un petit sourire puis déclara :

« C'est le moment de vous montrer que j'avais raison d'engager un Cow-boy sur ce navire ! Amenez-moi Jackson ! »

Un homme arriva, affublé d'un chapeau de Cow-boy, de vieilles bottes pointues et de deux revolvers accrochés à sa ceinture. Il avait dans ses mains un large lasso qu'il faisait tourner au-dessus de sa tête en criant « Yeeha ! ». Il jeta le lasso sur l'homme en mer et l'attrapa du premier coup. Les autres marins l'aidèrent à remonter sa prise.

Le rescapé était un homme brun d'environ 32 ans, 8 mois et 15 jours. Ses yeux étaient bruns, bleus, ou verts. C'était difficile à dire car ils étaient fermés. Il avait également une large cicatrice qui partait de la gauche de son nez et qui se dirigeait vers la Mecque.

Le capitaine Marbrandt écarta le Cow-boy Jackson qui s’apprêtait à marquer sa prise au fer rouge. Il posa son oreille devant le visage de l'inconnu pour voir s'il respirait encore. C'était le cas. Il posa ensuite sa tête sur son torse. Son propre torse, car il aimait impressionner ses camarades avec ses talents de contorsionniste. Les autres membres de l'équipage applaudirent à contrecœur pour lui faire plaisir.

« Amenez-le à l'intérieur. » ordonna Marbrandt, en montrant du doigt l'intérieur du bateau au cas où ça ne serait pas assez clair. L'équipage transporta l'homme sous la pluie, gardant difficilement leur équilibre dans la tempête. Le capitaine resta sur le pont quelques instants, les yeux rivés sur l'océan. Un cri de mouette attira son attention, il posa son regard au loin, vers ce cri. Tout ce qu'il vit fut un point blanc, s'éloignant. Marbrandt sortit un insecte mort de sa poche et le jeta à l'eau.

Chapitre 4

Une ampoule clignotante dansait au-dessus de Tom. C'était elle qui lui empêchait d'ouvrir ses yeux complètement pour voir où il se trouvait. Il se souvenait de l'attaque sur la barque, d'être perdu en mer, d'avoir nagé avec des dauphins (peut-être un rêve), mais après : plus rien. Le voici à présent couché dans un lit, aveuglé par une ampoule, et sans ses amis dauphins (je vous rappelle qu'il pourrait s'agir d'un rêve). Il sursauta en sentant une pression humide sur son front.

« Vous êtes réveillé ? » demanda calmement une douce voix féminine.

Tom se calma immédiatement. Il comprit qu'il avait été sauvé, et qu'il se trouvait probablement sur un bateau, vu les mouvements de l'ampoule. Sa première question fut donc :

« Comment va Ben ? »

La femme retira l'éponge avec douceur pour la mettre dans un seau à proximité.

« Qui est Ben ? »

Encore un peu dans les vapes, Tom fut distrait par une odeur de framboise. Il avait beaucoup de mal à se concentrer. La pièce dans laquelle il se trouvait était tout juste assez grande pour y contenir un matelas et trente Rubik's Cubes (sans les empiler, sinon multiplier par vingt-cinq).

« Vous sentez bon. » dit Tom, qui avait déjà oublié sa première question.

- Ce n'est pas moi, c'est la confiture de framboise que j'ai étalé sur votre front.

- Je pensais que c'était de l'eau.

- Non, on n'en a pas trouvé.

Tom n'eut pas le temps de réfléchir à une solution pour trouver de l'eau en pleine mer, il se rendormit aussitôt, comme assommé. La jeune femme rajouta un peu de confiture sur son front, puis quitta la pièce précipitamment.

Chapitre 5

« Que peignez-vous, capitaine ? » demanda Thierry.

Marbrandt baissa son pinceau et se retourna, sa fausse moustache de peintre italien se décolla légèrement. Il se trouvait devant une grande toile sur laquelle il avait commencé à peindre une tête de mouette.

« Je peins une tête de mouette. » répondit le capitaine en imitant un accent italien.

Il posa sa palette et son pinceau, retira sa fausse moustache et épongea son front avec.

« Les mouettes sont des êtres fascinants, mon cher Thierry. » commença-t-il.

Thierry leva ses yeux au ciel, se préparant à entendre cette tirade pour la millième fois.

- Sais-tu que ce sont les animaux les plus intelligents ?

- Je crois que vous confondez avec les singes ou les dauphins.

- Leur ADN est presque identique au nôtre.

- Ça c’est les cochons.

- Elles peuvent passer des semaines sans boire.

- Les dromadaires.

- Elles peuvent guérir les maux de ventre et la constipation.

- Là vous confondez avec le médicament Constopax.

Le capitaine ignorait l’insolence de son bras droit, il regardait les mouettes voler à travers son hublot. Enfin, étant donné que le hublot était fermé, elles s’écrasaient dessus au lieu de voler à travers.

« Quelles majestueuses créatures… » Soupira Marbrandt, en écoutant les impacts de mouettes sur la vitre. Thierry se racla la gorge pour faire comprendre qu’il n’était pas là pour parler de mouettes, même si il s’attendait à cette dérive. Gaël détourna son regard du hublot pour le poser sur son interlocuteur, il fit un mouvement de tête, à mi-chemin entre une danse hindou, et un signe pour lui donner la parole.

«  C’est au sujet du rescapé, capitaine. Il a parlé d’une autre personne qui naviguait avec lui. »

Le capitaine le coupa.

« Comment oses-tu m’interrompre pendant ma danse hindou ? »

« Peut-être devrions-nous entamer des recherches. » continua Thierry sans se soucier de son capitaine qui remuait ses hanches. Il arrêta sa danse soudainement et prit un air sérieux.

« Tu as tout à fait raison, mon cher Thierry. Je pars à la recherche de cette femme, ne m’attendez pas pour manger ! »

À ces mots, il enfila une bouée en forme de canard, ainsi qu’un brassard à chaque bras. Puis il sauta par la fenêtre du hublot, héroïquement. Étant toujours fermée, il s’écrasa dessus tête la première et tomba à terre.

« Il ne s’agit pas d’une femme, capitaine, c’est un homme qui s’appelle Ben. »

Marbrandt tenta péniblement de se relever en se tenant la tête.

« Dites aux hommes d’entamer les recherches. »

Chapitre 6

Tom se leva pour la seconde fois, un peu plus en forme. Il se dirigea vers ses toilettes, mais se cogna à la place contre le mur devant lui. Il se reprit, et décida d’aller prendre son petit déjeuner en allant vers la cuisine. Mais une fois de plus il rencontra un mur. Après s’être cogné vingt-quatre fois dans les différents murs de la pièce, il comprit qu’il ne se trouvait pas dans son appartement. Il se rappela toute cette histoire de point blanc et de dauphins, ainsi que la femme à la confiture. Le rescapé sortit donc par la seule porte disponible.

Il arriva dans un long couloir, le bateau tanguait et Tom peinait à garder son équilibre, encore un peu endormi (et assommé par vingt-quatre allers infructueux vers Poudlard). Les murs étaient d’un blanc éclatant ainsi que toutes les portes, sauf celle dont il sortait, qui semblait plutôt ouvrir sur un placard. Visiblement un navire de croisière luxueux.

Tom marcha calmement vers les escaliers, on n’entendait presque rien, à part les vagues étouffées par les murs, les bruits de pas de l’homme qui marchait, et un fond de musique indienne. Il se dirigeait vers cette musique. Le naufragé arriva devant une porte, semblable à toutes les autres, d’où provenait la musique. Il frappa timidement et attendit. Après quelques secondes sans réponse, il frappa un peu plus fort. Toujours rien. Il décida donc d’entrer discrètement, en entrouvrant la porte. Il découvrit un homme étrange, affublé d’une bouée en forme de canard et de brassards, faisant une danse hindoue devant une peinture de mouette. Il contempla cette scène quelques instants avec curiosité, s’attendant à se réveiller d’un moment à l’autre. Il finit par se manifester.

« Excusez-moi ? »

L’homme se retourna presque immédiatement (environ huit minutes après) et observa brièvement cet invité surprise. Il mesurait plus ou moins 187 centimètres de haut, pesait 84 kilos, avaient des cheveux aussi noirs que l’âme d’un fan de dubstep et arborait une barbe de trois jours qui, avec ses vêtements usés, lui donnait un air de mendiant. Le danseur sauta derrière un paravent et en ressortit presque immédiatement vêtu de son élégante tenue blanche de capitaine, avec sa petite casquette de capitaine et ses badges de capitaine. Il prit la parole avec sa voix de capitaine.

« Enchanté, je suis le capitaine Marbrandt, et vous devez être Jessica, la duchesse de Montbrisou.

- Absolument pas, je m’appelle Tom et…

- Mais oui, coupa le capitaine, Tom mon frère disparu depuis mes huit ans ! Comment vas-tu, vieux frère ?

- Je me trouvais sur une barque, je chassais en mer, et j’ignore ce que… »

Marbrandt lui fit signe d’arrêter. Il prit les deux mains de Tom entre les siennes et ferma les yeux. Le malaise de Tom étant déjà à son paroxysme, il le laissa faire sans broncher.

« Oui, je vois beaucoup de malheur… Je vois de l’eau, beaucoup d’eau… Maintenant je vois des mouettes. »

Le capitaine lâcha les mains brusquement, les yeux écarquillés.

« Qu’avez-vous vu d’autre ? » Demanda Tom qui se prenait au jeu

« J’ai vu la mort. »

Les deux hommes se regardèrent un peu paniqués pendant quelques instants, après quoi Marbrandt demanda de l’argent pour la consultation.

Chapitre 7

Tom avait été convié au repas du midi par le capitaine. Il était sans aucun doute dans un luxueux bateau de croisière en compagnie de tout le gratin britannique, il ne serait pas surpris de voir la reine Elisabeth à une table voisine.

《 Eh bien, Tom, vous ne touchez pas à votre gratin ? Vous devez être affamé ! 》

Lança Marbrandt, interrompant sa discussion (sur les mouettes) avec une demoiselle.
Tom ne pouvait penser à autre chose qu’à son ami perdu en mer, à leur échec face à ce monstre au sifflement inhumain, et à son front toujours collant à cause de la confiture. Il se rappela alors de la femme qui était à son chevet pour le tartiner comme une crêpe bretonne. Sa douce voix et sa manière bien à elle de tremper son éponge dans ce seau rempli de confiture.

《 Qui était la femme s’occupant de moi ? 》 demanda t-il

Le capitaine ne saisit pas tout de suite la question tant elle lui paraissait futile. Pour plaire à son invité il tenta cependant de se souvenir à qui il avait confié cette tâche ingrate.

《 Je crois bien que c’est Tania, la jeune servante. C’est une bien gentille fille, toujours prête à aider. Tiens, en parlant de mouettes... 》

Tom n’écoutait plus, il chercha du regard dans la pièce une trace de cette charmante servante, il ne la connaissait pas, mais c’était pour lui la personne dont il était le plus proche à bord de ce bateau. Les liens qui unissent deux personnes se tartinnant de confiture sont très puissants.

《 Vous ne la trouverez pas ici 》, fit remarquer Marbrandt qui voyait bien les coups d’oeil de son nouvel ami.
《 Elle est en cuisine, à préparer le dessert ou à laver des assiettes, ou encore à ranger la vaisselle, nettoyer le sol... On peut faire beaucoup de choses dans une cuisine. 》

Tom sentait qu’il ne pouvait pas partir ainsi du déjeuner pour aller rejoindre une servante. Il prit sur lui et une bouchée du gratin. Un délice. La demoiselle voyant l’invité reprendre du goût décida de lui poser à son tour une question.

《 Mon cher, à présent pouvez-vous nous dire ce que vous et votre ami - que Dieu le garde - faisiez au beau milieu de l’océan ? 》

Le rescapé attendait cette question, il posa sa fourchette, finit d’avaler sa bouchée du succulent gratin et répondit.

《 - Je viens de Huldemton, sur les côtes écossaises. Il y a deux semaines, des baigneurs et des marins ont commencé à disparaître en pleine mer. Chaque disparition, selon les témoins, était précédée d’un sifflement aiguë semblable à une théière, suivie de l’apparition d’un aileron de requin fonçant sur sa cible.

- C’est inquiétant, remarqua la demoiselle, et vous êtes partis chasser cette chose ?

- Nous avons analysé les habitudes de cette créature pour savoir avec quel appât l’attirer, les zones qu’elle fréquentait, ses heures d’activité... Nous étions en mer depuis deux jours quand nous l’avons croisé. Nous avons tenté de la harponner, sans grand succès. Elle a ensuite détruit notre barque, et nous voilà. 》

《 Mh, oui, je vois 》 dit Marbrandt en hochant la tête les yeux fermés, frottant son menton avec sa main, tel un détective. Il n'avait pas saisi un traitre mot de l'histoire, il se demandait juste si aucune mouette n'avait été blessée.

La jeune femme était captivée et n’avait pas, comme le capitaine, à faire semblant de comprendre l’histoire car elle avait tout compris (ce qui n’est pas étonnant car l’histoire n’a rien de subtil). Tom, lui, était emporté par les flots de son récit et repensait à son ami Ben, peut-être mort à l’heure qu’il est. Mais au même moment, des cris se firent entendre venant du pont, appellant en coeur le capitaine.

《 Capitaine, il y a un autre rescapé au large ! 》

Chapitre 8

Ben était conscient depuis plusieurs heures, mais après son naufrage, après avoir manqué de se noyer, après avoir été mordu par cette bête féroce sifflante, et enfin après s’être bêtement mordu la langue en se réveillant, il n’était nullement possible pour lui de se tenir debout. Peu importe ce qui se passait autour de lui, comme ces bruits d’animaux se déplaçant dans le sable chaud, à ses côtés mais un peu loin, ils semblaient l'observer. Des cris - il semblait - de chimpanzés.
Il rassembla ses dernières forces pour tourner sa tête et observer ses alentours, mais il put ainsi discerner non pas des chimpanzés, mais bel et bien des êtres humains marchant accroupis, habillés d’une tunique modeste. Ils étaient cinq, dont une femme. Ils avaient la peau noire et des tatouages formants des signes inconnus au naufragé. L’un d’eux avait cependant un tatouage de Mickey Mouse qu’il reconnu.
Malgré leur apparence vulgaire, ils parlaient un anglais étonnamment correct.

《 - Président, qu’est-ce qu’on en fait ?

- Amenez-le chez Torjka tout de suite, il est mal en point.

- Torjka est mal en point ? Qu'est-ce qui lui est arrivé ?

- Non, je parle de lui.

- Ah. 》

Ben fut transporté sur le dos d’un de ces hommes et traversa toute une jungle dense, qu’il ne pouvait pas prendre le temps d’observer car ses sauveurs étaient très rapides et qu’il rentrait dans chaque branche d’arbre sur le chemin, ce qui le forçait à fermer les yeux.

Lorsque le groupe ralentit, Ben pu les ouvrir (ses yeux) et contempler un gigantesque village qui s’étendait à perte de vue, des centaines de petites huttes qui pouvaient accueillir trois personnes maximum, ou quatre anorexiques.
Il fut conduit à une habitation assez proche sur laquelle une plante était dessinée. Dedans, un vieil homme barbu était assis en tailleur devant un feu. Comme mobilier, le strict nécessaire : une couchette, un trou pour les toilettes, un petit four à micro-ondes, un jacuzzi et un terrain de basket. L’un des hommes s’adressa à lui.

《 Il était échoué sur la plage, il est encore vivant. 》

Le vieil homme se leva doucement, comme si le moindre geste brusque pouvait le faire s’écrouler. Il approcha sa tête du visage de Ben, toujours sur le dos d’un autochtone, et l’observa longuement. Il posa sa main ridée sur le front de l’étranger, puis sur ses paupières pour les ouvrir et observer ses yeux. Il s’éloigna ensuite et hocha la tête.

《 Parfait, on peut le manger. 》

Ben écarquilla ses yeux, le vieil homme qui le regardait toujours ne put retenir un fou rire, suivi par ses camarades.

《 Je l’ai bien eu, regardez sa tronche ! 》

Les hommes continuèrent de rire en pointant Ben du doigt pendant quelques dizaines de minutes, après quoi ils le firent enfin descendre du dos de leur compère et l’allongèrent sur la table de massage (près du jacuzzi). Quatre des hommes qui l’avaient ammené ici s’en allèrent, le laissant avec celui qui l’avait porté et le vieil humoriste. Ce dernier éteignit les néons et la boule disco qui éclairaient la pièce jusqu’à présent et alluma quelques bougies qu’il plaça en cercle autour de Ben. Il dansa alors en tournant autour du feu et en chantant d’étranges incantations sonnant comme des tribues africaines. Ce rituel dura toute la nuit durant laquelle l’homme qui était resté observait, silencieux.

À suivre.